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Du banc de parc à la bibliothèque humaine

Leur histoire commence semblable à la scène du film Forrest Gump lorsqu’assis à un arrêt d’autobus, Forrest s’adresse à une étrangère lui rappelant les paroles de sa mère qui comparait la vie à une boîte de chocolat. Diane, bénévole, et sa Grande Amie Yvrande s’étaient retrouvées pour la première fois assises l’une près de l’autre sur un banc de parc à se demander sur « qui » elles allaient tomber. Il s’avère que cette rencontre fut délicieuse et qu’elle leur a donné le goût de se revoir.

Yvrande, 90 ans bientôt, est une ancienne bénévole des Petits Frères de Québec. Suite à la perte de son mari et des membres de sa famille, elle éprouvait parfois une solitude qu’elle n’avait pas choisie. Curieuse de profiter à son tour des bienfaits du don de soi, elle s’était inscrite à titre de Grande Amie auprès de sa coordonnatrice régionale. Elle avait tellement donné d’elle-même auprès des personnes aînées et connaissait le cadeau que l’on se fait à s’offrir à l’autre. Elle voulait maintenant découvrir la joie de se développer.

Diane, à la retraite, ayant quitté Montréal pour se rapprocher de sa fille et ses petits-enfants près de Québec, décide qu’un jour elle aimerait « adopter » une personne aînée. Une amie lui mentionne l’existence des Petits Frères et que à travers eux, elle trouverait plus d’un berceau rempli d’années de vie emmaillottées de souvenirs que plus personne ne berce.

Aucun document officiel ou contrat d’engagement ne pouvaient authentifier la signature au fond du cœur de Diane, tombée sous le charme d’adoption d’Yvrande, promettant aussi longtemps que possible de l’accompagner dans les bons et les moins bons moments!

Trêve de métaphore, chaque rencontre de ces dames de cœur est un jeu d’enfant.

L’une admire l’autre pour sa joie de vivre, son humour, ses folies, sa curiosité, ses mille attentions et les histoires qu’elle raconte et qui viennent d’un autre temps, d’une autre époque. L’autre n’a de cesse de vouloir apprendre sur ce qu’elle ignore encore, des sujets ou des domaines qui l’intéressent, qui l’allument. Apprendre à voir mieux dans le regard aimant de l’autre. Se sentir acceptée. Vue. Considérée. Telle qu’elle est. Elles aiment rappeler qu’elles sont différentes et qu’elles s’apprécient beaucoup.

Yvrande est dynamique et enjouée. Elle sème la joie sur son passage. Les premiers jours, à son arrivée dans son immeuble, les gens se disaient à peine bonjour et la morosité flottait dans les couloirs comme un épais brouillard gris. Yvrande éblouissait les lieux par sa bonne humeur. Son sourire s’étirait largement, perçant les nuages des jours routiniers des résidentes et des résidents. Comme une boussole, elle savait réorienter l’attente et l’ennui vers la pleine conscience du moment présent. Vivre ici et maintenant.

À Noël, elle se donne le mandat d’aller recueillir des bons d’achats et des petits cadeaux de la part des commençants des alentours à offrir aux locataires de l’immeuble. De quoi éveiller leur cœur. Tout le monde la connaît dans le quartier! Et maintenant, les résidents se disent bonjour, en passant.

Diane, se sent bien privilégiée de côtoyer une femme aussi inspirante et engagée à semer le bonheur autour d’elle. Et de son côté, Yvrande n’a qu’une profonde reconnaissance à offrir à la présence et l’écoute que lui apporte sa bénévole. « Elle ne sait pas à quel point elle me donne, explique Yvrande, j’ai une impression d’être une page blanche ». Elle n’en dit pas plus. On comprend qu’elle écrit les derniers chapitres de sa vie. Longs ou courts, qui sait? Mais ce n’est certainement pas la fin! Tant qu’à y être, il faut bien finir l’histoire à notre façon. Choisir les personnages qu’on a envie de garder dans nos vies. Éliminer le superflu. Se débarrasser de ce qui nuit au rythme de l’histoire. Aller droit au but. Avec un choix plus précis des mots. Des accords. Des traits d’union qui raboutent les phrases en fin de ligne pour ne pas perdre le fil de l’histoire. Et la présence de sa bénévole Diane qui ponctue sa vie ici et là, de visites, de jasettes, des sorties au cinéma, permet à Yvrande de se composer plus facilement. Se voir dans un regard bienveillant. Des yeux plus jeunes qui admirent et respectent la valeur de la sagesse et le privilège de vieillir. N’est-ce pas là un phénomène extraordinaire du développement humain? « On se transforme à être ce que nous sommes », déclare Yvrande dans toute sa splendeur et son intelligence. Étant jusqu’à la fin de nos jours des êtres sociaux, n’est-ce pas la base de notre construction identitaire? Le regard de l’autre pour mieux se voir, s’accepter et s’aimer plus fort.

Tant de fois, Yvrande et Diane se sont retrouvées sur un banc de parc en délicieuse compagnie de l’une et l’autre, comme une boîte de chocolat, ne sachant jamais sur quoi elles allaient tomber, quel savoureux souvenir elles allaient remâcher, quel goût allait avoir l’espérance de demain, et une chose est certaine, lorsqu’elles sont ensemble, la reliure de ces deux livres humains nous raconte de belles histoires.

Merci à vous deux pour ces années de bénévolat auprès des Petits Frères de Québec, votre signature aura mis un point final à la solitude des personnes aînées qui auront fait partie de vos chapitres de vie.

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