Encadré des contours de notre écran d’ordinateur, apparaît le portrait d’une jeune femme affirmée et convaincante. Son nom, c’est Rose-Aimée. Elle est bénévole depuis trois ans chez Les Petits Frères. Elle est aussi une petite fille devenue femme, « parce qu’on ne nait pas femme, on le devient », qui a appris très tôt les bénéfices du don de soi. Un lègue précieux que lui ont transmis ses parents.
Sa Grande Amie Françoise, plus discrète et timide, ne s’affiche pas dans le cadre de l’entrevue, mais sa voix et sa présence sont portées fièrement par les mots tendres de Rose-Aimée. Grâce à tout le respect et l’admiration qu’éprouve la jeune femme pour sa Grande Amie, on apprend que Françoise est vive d’esprit, éduquée, éloquente et déterminée. Qu’elle aime lire, qu’elle est passionnée d’art, qu’elle est curieuse et opiniâtre. Qu’elle est directe aussi, et authentique. Qu’elle entretient une connaissance générale aussi vaste qu’un champ de blé des prairies canadiennes. C’est d’ailleurs une source naturelle de nourriture du lien qui les unit. Probablement l’un des facteurs essentiels à l’exportation de leur complicité dans un lieu de rencontre commun, hors d’un horaire de vie effréné pour l’une et d’une solitude protectrice pour l’autre. Un espace délimité par le respect, la vérité, même la plus crue, et le lâcher-prise.
« Elle me fait rire, réfléchir, elle me confronte, déclare Rose-Aimée. Françoise écoute beaucoup la radio et aime commenter tout ce qu’elle entend, notamment mes interventions lorsque j’anime. Maintenant, lorsque j’allume mon micro, j’ai une auditrice en tête à qui je m’adresse. »
Elle raconte aussi que sa Grande Amie est très réservée, mais qu’elle aussi est inspirée de la jeunesse et de l’audace de sa précieuse bénévole. Un jour, elle s’est décidée à aller manger avec les autres résidentes et résidents à la salle à manger de son centre. Ce qu’elle ne faisait jamais, elle mangeait seule à sa chambre. Rose-Aimée a bien voulu l’accompagner et à sa grande surprise, a pu observer le déploiement de sa Grande Amie qui interagissait avec les autres, tout aussi allumés et intellectuels. Ça parlait de Riopelle, d’art, du Refus Global, des signataires, des petites et grandes rébellions de la création…
Un jour, Rose-Aimée n’a plus eu de nouvelle de sa Grande Amie. Françoise venait d’être hospitalisée et Rose-Aimée ne savait pas où elle se trouvait et si elle allait bien. Après de multiples appels, le téléphone a sonné, Françoise décrochait, un sourire dans sa voix et disait : « Rose-Aimée! Tu m’as retrouvée, je le savais ». Ces mots confirmaient et scellaient pour des années encore, leur amitié.
À un moment donné, Rose-Aimée cite une expression d’une autrice Marie-Pierre Duval, tirée du livre Au pays du désespoir tranquille qui utilise l’expression « domestication » pour parler d’une certaine docilité sociétale causée par le désir de performance. Un motif d’action qui nous pousse à nous soumettre au mérite d’être considéré aux yeux de l’autre. Être acceptable. Être considéré. Être aimé. « C’est tellement inspirant, dit-elle, Françoise arrive à se débarrasser des vernis qui nous collent dessus pour bien paraître, pour briller. »
À l’entendre, clandestinement, nous faisons une petite virée introspective dans les superpositions de notre image… Ça y est. On réfléchit. C’est Françoise, même absente, qui soudainement nous donne une leçon.
Rose-Aimée fait l’éloge d’une soif d’apprivoiser ce qu’elle deviendra un jour, ce qui l’attend plus tard lorsqu’elle aussi sera vieille. Et Françoise est un reflet désaltérant. Un modèle de femme vraie, sans filtre, qui a compris qu’à son âge, on ne fait plus dans la dentelle. On rapièce les faux-semblants d’être de bonne humeur pour plaire. On raccommode les excuses qui épargnent les autres parce qu’on a compris qu’on a assez à se pardonner soi-même sans avoir à se responsabiliser pour les malheurs de Pierre, Jean, Jacques.
Tout comme Françoise, Rose-Aimée ne pense pas avoir d’enfant et inévitablement, ne sachant pas ce que la vie nous réserve, il lui est arrivé de se projeter dans l’avenir avec une certaine crainte d’être un « boulet » pour les autres. L’existence des Petits Frères est rassurante, savoir qu’on peut compter sur la bonté et la disponibilité des gens, de la société pour assurer une présence, un accompagnement permettant de desserrer la solitude des personnes âgées, c’est une pierre d’assise sur laquelle s’appuie l’espoir de vieillir dignement.
« On devrait tous prendre conscience qu’on vit ensemble, exprime-t-elle, qu’on devrait prendre soin des autres comme un filet social, ça nous apporte à tous d’être plus heureux, ensemble. »
Merci, Rose-Aimée, pour cette odyssée existentialiste. Une douce réflexion philosophique sur le sens de la vérité et de l’authenticité, cette sagesse inestimable qu’ont développée les personnes aînées à force de vivre. Des années de doute et de combat pour être vraiment soi-même. Nous devrions tous avoir une Françoise tôt sur notre route pour apprendre à vivre mieux, plus longtemps.
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